Noël 2024
Weihnachten / Noël 2024
Olivier Artus
Hier soir, avant la messe de la nuit de Noël, le pape François a ouvert la porte sainte de la Basilique Saint-Pierre, et il a marqué ainsi l’entrée, notre entrée dans l’année jubilaire. Le thème de cette année est l’espérance — « L’espérance ne déçoit pas », tel est le titre de la bulle d’indiction du Jubilé.
L’espérance ne déçoit pas. Nous pourrions être tentés de dire, quelle espérance ? Comment penser l’espérance, alors que la situation du monde n’a jamais été aussi inquiétante depuis des années. Une crise climatique et écologique qui s’aggrave, avec les catastrophes qui l’accompagnent. Nous pensons tous aujourd’hui à Mayotte et aux Mahorais. Une crise internationale et des guerres qui n’en finissent pas. Et la pauvreté endémique dans des continents entiers.
Pourtant, la liturgie de Noël nous invite à oser l’espérance. Osons l’espérance. Et cette liturgie nous donne, dans la Parole de Dieu que nous venons d’entendre, elle nous donne des points de repère pour le faire.
Le livre d’Isaïe nous parle de l’espérance des Judéens déportés à Babylone. Ils ont tout perdu : leur terre, leur roi, leur Temple. Il ne leur reste que leur Dieu et leur foi. Le Dieu d’Israël, en qui ils font confiance pour les accompagner dans cette épreuve et pour les en libérer.
La lettre aux Hébreux nous parle de l’espérance des premières générations de chrétiens. Ils reconnaissent dans le Christ leur sauveur. Et c’est cette même espérance que nous célébrons en ce jour de Noël. Espérance paradoxale, qui est liée à la venue en ce monde d’un enfant. Dieu se présente à nous sous un jour inattendu. Sous l’apparence de la fragilité, de la douceur, de l’humilité d’un tout jeune enfant.
En Jésus, Dieu se révèle à nous tel qu’il est. Il se révèle depuis la naissance du Christ, que nous célébrons aujourd’hui, jusqu’à sa mort. En Jésus-Christ, Dieu se présente comme la source de toute justice, mais aussi, comme la source de la miséricorde et du pardon. Le pardon qui est indispensable à la vie en société, à la vie de toute communauté humaine. Nul ne peut vivre en société sans pardonner, car sinon, ce serait la guerre de tous contre tous.
Et la manière dont Dieu se révèle à nous, en Jésus, au début de cette année jubilaire, la manière dont Dieu se révèle à nous en Jésus, trace pour nous un chemin, un chemin de transformation, un chemin de conversion de notre vie.
Qu’est-ce qui caractérise ce chemin ?
Les années jubilaires sont rares. Celles qui marquent la commémoration de la de la naissance de Jésus sont célébrées tous les 25 ans, tous les quarts de siècle. C’est l’occasion pour nous d’élargir notre regard. De porter un regard à plus long terme sur notre vie. Nous sommes parfois prisonniers du quotidien, et l’année jubilaire nous invite à prendre du champ. Que nous soyons jeunes ou moins jeunes, la question qui nous est posée est simple : que faisons-nous de notre vie, et en quoi, en qui réside notre espérance ?
Le pape François, dans la lettre qui introduit cette année jubilaire, nous indique des lieux de changement possible, des lieux d’évolution possible pour notre existence. Il nous invite, à regarder en particulier trois dimensions de notre vie :
La première dimension c’est la dimension du pardon. Tout à l’heure nous allons proclamer le Notre Père et dire : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». En disant cela, nous reconnaissons que Dieu est miséricordieux, qu’il vient à notre rencontre, qu’il veut à tout prix demeurer en relation avec nous, quoi que nous ayons fait. Mais en même temps, Dieu nous invite nous aussi à pardonner. L’espérance, en ce monde, repose, pour une bonne part, sur la capacité des uns et des autres à pardonner. Combien de relations sont brisées sans retour. Combien de familles ont vécu des cassures. Savons-nous pardonner ? Pardonner vraiment, c’est-à-dire permettre à une relation de repartir de l’avant, ouvrir un futur. C’est la première question que pose la pape François.
La deuxième dimension de notre existence que nous sommes invités à regarder en cette année jubilaire, c’est la dimension communautaire. Savons-nous faire communauté ? C’est une question très concrète : savons-nous prendre les moyens de construire une communauté humaine caractérisée par la justice et la paix, savons-nous aller au-delà des différences, avons-nous le souci de corriger les inégalités les plus criantes ? Le pape attire notre attention sur les inégalités qui existent entre le Nord et le Sud, et il invite au partage, en rappelant que, fondamentalement, les biens, tous les biens appartiennent à Dieu. Il nous revient donc d’en faire un usage juste, au profit de tous, que ce soit à l’échelle large de la planète, ou à l’échelle locale de nos communautés.
Travailler à l’unité de la communauté humaine en réduisant les inégalités. Travailler également à l’unité, en nous engageant pour la paix. Sommes-nous des ouvriers de paix ? Cela passe d’abord par la parole. En cette année jubilaire, nous sommes invités à examiner de près ce que nous disons. Sommes-nous bienveillants, avec-nous sur notre prochain un regard qui relève, un regard qui fait vivre, des propos qui valorisent ? Avec notre seule parole, nous pouvons contribuer à construire la paix.
Et puis, troisième dimension de notre vie, et de notre vie spirituelle interrogée par cette année jubilaire, c’est la dimension de l’espérance : contribuons-nous à diffuser l’espérance chrétienne ? Le jubilé, c’est une pédagogie que s’est donnée l’Église, une pédagogie pour que nous gardions toujours vive la conscience du bouleversement introduit dans notre monde par l’incarnation : « Aujourd’hui vous est né un sauveur qui est le Christ, le Seigneur ». C’étaient, hier soir, les termes de l’Évangile de Luc. « Dieu personne ne l’a jamais vu. Le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître ». Ce sont les termes de l’Évangile de Jean que nous venons d’entendre.
En utilisant ces termes, ces Évangiles cherchent à décrire le projet de Dieu : le projet de Dieu, c’est de prendre soin de l’humanité. Prendre soin de l’humanité, la sauver avant tout d’elle-même, des pulsions de mort qui l’habitent, et puis l’accompagner sur un chemin de guérison. C’est ce projet que le Christ vient aujourd’hui nous révéler. Et notre espérance est que ce projet de salut se réalise. Ce projet ne se fera pas sans nous. Il ne se fera pas sans notre engagement personnel, et, sans relâche, Dieu cherche à nous y associer.
Que cette année jubilaire nous permettre d’avancer sur le chemin de la miséricorde et du pardon, qu’elle nous permette de devenir toujours davantage des ouvriers de la justice et de la paix, et qu’enfin elle nous fasse mieux prendre conscience de notre responsabilité de porteurs et de témoins de l’espérance du Christ. Amen.