2ème dimanche du temps ordinaire
2ème dimanche ordinaire 19.01.2025 / JK 02 SO 25 / Olivier Artus
Dans la suite de la fête baptême du Seigneur, nous sommes entrés dans le temps ordinaire, le temps ordinaire de la liturgie. Et pourtant les lectures de ce dimanche nous convient à vivre ce temps ordinaire, comme un temps extraordinaire, un temps extraordinaire, parce que notre vie et la vie de l’Église sont animés par l’Esprit Saint lui-même, qui dispense ses dons, et parce que dans le temps ordinaire que nous vivons, nous sommes invités à repérer, à discerner les signes du Royaume de Dieu qui se construit, et qui est déjà présent parmi nous. La promesse nous est donnée que notre vie, au-delà des peines et des joies du temps ordinaire, notre vie est déjà profondément transformée par la rencontre de Dieu.
Les trois lectures que nous venons d’entendre conjuguent ces deux dimensions : l’aspect ordinaire des choses et des événements, et leur transformation profonde par la force de l’Esprit et par la promesse du Royaume.
Au cœur de Jérusalem, l’auteur de la partie finale du livre d’Isaïe annonce des temps nouveaux : Jérusalem ne sera plus la ville désolée que chacun a sous les yeux. Une ville ravagée par les guerres. On ne te dire pas plus « délaissée ». A ton pays nul ne dira « désolation ». Autrement dit, contre toute logique humaine, le prophète annonce la venue d’une nouvelle ère, une ère où Jérusalem sera la symbole du Royaume que Dieu promet à son peuple. Une ville rayonnante, qui sera le lieu même de l’alliance que Dieu veut nouer avec son peuple, et plus largement, avec l’humanité tout entière : promesse de temps nouveaux, espérance contre toute logique, espérance dans la force de la foi au Dieu d’Israël.
C’est cette même foi que les juifs déportés au camp d’Auschwitz gardaient chevillée au corps, contre toute évidence, lorsqu’ils célébraient la Pâque au milieu de l’enfer du camp de concentration. Pour eux, le dernier mot de Dieu ne pouvait être l’abandon. La foi était source d’espérance au cœur même de la désespérance, et c’est précisément cette espérance que la barbarie nazie voulait détruire.
Dans l’Évangile de Jean, le récit des noces de Cana est riche en symboles. Tout commence par le récit d’un mariage ordinaire. Puis soudain, Marie fait part à Jésus d’un manque. Ils n’ont plus de vin. Jésus veille à la préparation d’un vin nouveau. Et ce vin nouveau que va faire servir Jésus est le signe d’un monde nouveau qui fait irruption. Tout d’abord, les jarres qui servent à la préparation de ce vin sont les jarres de purification. Elles servent aux rites de pureté qui précèdent les repas. En les destinant à tout autre usage, Jésus manifeste que la notion même d’impureté est désormais périmée. Rien ne rend impur aux yeux du Christ. Puis le vin nouveau est servi, et ce vin anticipe la finale de l’Évangile. Ce vin, c’est le vin eucharistique. C’est le signe donné par le Christ pour faire mémoire de son sang versé sur la Croix. Et ce vin, les Chrétiens sont invités à le boire jusqu’à la venue du Christ. Jusqu’à l’avènement plénier du royaume de Dieu. Ainsi, invité à un simple mariage, Jésus transforme l’ordinaire en annonçant sa Passion, en liant sa Passion aux temps nouveaux du Royaume qui sont inaugurés, et en préfigurant déjà l’institution de l’Eucharistie.
Enfin, nous avons écouté la lecture du chapitre 12 de la première lettre aux Corinthiens. Un chapitre qui traite de l’Église, et des différents services qui y sont nécessaires, des différents ministères qui y existent en ce premier siècle de notre ère, et en ces temps des origines de l’Église. Il y est question de prophétie, de paroles de sagesse ou de connaissance, de la capacité de discernement, du don de guérison, etc… Mais ces différents ministères, ces différents services ne sont pas présentés comme des fonctions institutionnelles. Ils sont présentés comme des dons de l’Esprit. Autrement dit comme des talents qui n’appartiennent pas à ceux qui les exercent.
Les Charismes, les services, les activités diverses d’une communauté chrétienne ne peuvent être considérés comme de simples fonctions. Ils sont la manifestation de la présence de l’Esprit du Père et du Fils à cette communauté, et dès lors, nul ne peut présenter ses propres talents comme un bien personnel, nul peut les utiliser pour obtenir un avantage, ni pour se tenir en surplomb vis-à-vis de la communauté. Non, ces dons de l’Esprit sont au service d’un unique bien : l’unité et la croissance de la communauté chrétienne dans l’Esprit.
Ce qui est intéressant, dans les trois lectures que nous avons entendues, c’est qu’elles nous présentent, toutes les trois, deux entrées différentes dans une même réalité, deux points de vue différents et complémentaires sur une même réalité.
La réalité politique de Jérusalem et de la Judée à la fin de l’époque perse. La situation politique à cette époque ne peut qu’être source de désespérance. Et pourtant, avec les yeux de la foi, le Prophète y discerne déjà le don du salut que Dieu fera à son peuple.
Dans l’Évangile de Jean, c’est un épisode banal de la vie quotidienne qui nous est présenté. Et Jésus est présent à ce moment de la vie de ses proches, et il l’investit d’une manière qui lui est propre pour donner à voir à tous ceux qui y consentent l’annonce de sa Passion, la promesse du Royaume et l’institution de l’Eucharistie, sacrement du salut.
Enfin, la première lettre aux Corinthiens nous invite à adopter une approche mystique et spirituelle de l’Église. L’Église, nous pourrions n’en avoir qu’une vision politique. Comme dans toute communauté humane, il y a dans l’Église des sous-groupes, des tendances, des tensions, et aussi la volonté de tel ou tel de s’imposer, de s’imposer au sens politique du terme. C’est la réalité de la communauté de Corinthe.
Or, Paul invite ses auditeurs à changer d’approche. Il les invite à croire en l’Église. Croire en l’Église corps du Christ, c’est le chapitre 11 de la lettre aux Corinthiens, Croire en l’Église Temple de l’Esprit, c’est le texte que nous avons entendu.
Ultimement, ces trois lectures nous renvoient au regard que nous portons sur notre propre vie. Que regardons-nous en premier ? Les conditions matérielles de notre existence ? Nos échecs et nos succès au sens mondain du terme ? Les talents que nous avons et ceux que nous aimerions avoir ? Il me semble que les lectures de ce dimanche nous invitent à adopter un regard spirituel sur notre propre existence. Qu’avons-nous reçu ? Reconnaissons-nous nos talents, quels qu’ils soient, comme des dons de l’Esprit ? Et reconnaissons-nous comme des dons de l’Esprit les talents de celles et ceux qui nous entourent ?
Et puis, sommes-nous attentifs aux signes discrets du Royaume qui vient et qui, déjà, est en croissance au milieu de nous ? Le Royaume n’est pas grandiloquent : les signes du Royaume, ce sont ces gestes et ces paroles, échangés gratuitement, dans le seul but de faire grandir l’autre. Et cela, dans des circonstances ordinaires, comme dans des circonstances extraordinaires. Circonstances ordinaires : le coup de main donné, le temps d’écoute consenti, le repas partagé. Circonstances extraordinaires : le courage de dire non, le courage de résister si nécessaire, au nom même de sa foi, ou encore d’affirmer sa foi dans un climat hostile.
À nous de repérer ces gestes et ces paroles qui disent qu’en tout contexte l’espérance, fondée sur le Christ, l’espérance ne meurt part. À nous de devenir, en cette année jubilaire, les auteurs de ces paroles et de ces gestes d’espérance qui annoncent le Royaume qui vient. Amen.