Notre-Dame de la Lumière — Pèlerinages

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Notre-Dame de la Lumière

Lieu de pèlerinage situé à Cure

"Émergeant du creux de longues et hautes vagues de chênes tordus et sombres, apparaît, comme figée par les siècles, la volumineuse coque avant d’un navire de “granit-fluoré” supportant, telle une “figure de proue” la monumentale statue de Notre-Dame de la Lumière.”

En ces mots, l’Abbé Bernard Lacroix (1912-2002) décrit avec ferveur cette statue qu’il a souhaité voir dominer sa paroisse. Et il faut que cette description lui tienne à cœur pour qu’il l’ait placée dans les premières pages d’un ouvrage consacré non à l’actualité de cette dévotion, mais au surgissement archéologique de l’antique abbaye de Saint-Martin de Chora. C’est dire, avant tout, combien le prêtre et l’archéologue, les deux vocations de l’Abbé Lacroix, ont pu trouver à s’exprimer dans ce Morvan où son apostolat s’est déployé tant au milieu des fidèles que dans le carroyage des fouilles.

Après quelques années d’enseignement à l’institution Saint-Jacques de Joigny, l’Abbé Lacroix est déjà versé dans l’étude des vestiges quand il est nommé curé de Domecy-sur-Cure, en 1947. Et ce ministère que lui confie Mgr Lamy pourra justement faciliter la poursuite de ses investigations scientifiques dans l’Avallonnais. Mais c’est pourtant un projet d’actualité qui l’occupe bientôt à travers cette dévotion nouvelle à Notre-Dame de la Lumière. Le contexte général est celui de l’après-guerre ; la statue de Notre-Dame de Boulogne a sillonné la France dans un pèlerinage du “Grand retour” ; une année sainte s’annonce, qui va voir la proclamation du dogme de l’Assomption par le pape Pie XII ; des années de croissance se profilent à travers une modernisation du pays. Et ce contexte s’impose en tout lieu… même dans ces confins du Morvan où, précisément, le relief accidenté avait été mis à profit dès les années 1930, dans le cadre de la production d’énergie. En 1946, la centrale hydro-électrique du Bois de Cure, alimentée par le barrage du Crescent, est intégrée au réseau national confié à la nouvelle compagnie publique de l’Électricité de France.

Ne fallait-il pas un esprit ouvert aux spiritualités primitives pour être sensible à ce rapprochement entre la nature et l’énergie que l’intelligence humaine sait en extraire ? Ne fallait-il pas porter sur cette inspiration le regard de la foi pour traduire, dans le langage chrétien, cette fascination pour le progrès ? C’est ce qu’il nous semble à contempler cette statue massive due au ciseau de Pierre Vigoureux (1884-1965). Natif d’Avallon et formé notamment à l’École nationale des Arts décoratifs, le sculpteur trouve à s’illustrer dans les monuments aux morts qui s’édifient en nombre après la Première Guerre mondiale : ceux d’Avallon, Cravant et Vézelay, notamment, lui sont dus. La commande ici est évidemment bien différente et on lit avec intérêt ce que l’artiste a pu écrire lui-même sur son œuvre. Il précise ainsi que “l’aspect de simplification et de puissance qu’elle dégage a été recherché d’abord pour qu’elle résiste dans l’air et aussi pour qu’elle ait son caractère régionaliste “Morvan”, régionalisme parfois si nettement écrit dans les vierges de Bretagne, de la Provence, de la Bourgogne, etc. Enfin, le titre proposé était Notre-Dame de la force et de la Lumière. L’idée scientifique Force et Lumière patronnée par la Vierge des barrages du Morvan a été aussi évoquée par un cercle d’eau à la base de la statue et un rayonnement au centre de la croix dressée à bout de bras”. On constate ainsi combien une œuvre d’art peut effectuer la synthèse d’une idée et d’une inspiration pour les livrer à la contemplation.

Mais, plus encore, une œuvre d’art religieux ouvre le contemplateur à la dévotion. Et le dépliant promouvant, au printemps 1950, le projet d’édification de la statue est à cet égard des plus instructifs, présentant comme une “œuvre nationale” ce “projet destiné à magnifier la Vierge immaculée”. Cette opération, bénie par Mgr Lamy, est évidemment replacée dans la nécessité de l’instant, mais aussi dans la tradition du culte à la Vierge Marie : “Symbole même de la Force et de la Lumière matérielle et spirituelle, n’est-elle pas la Patronne désignée de la production hydro-électrique française ainsi que de son utilisation industrielle et privée ? […] Le livre d’or de la souscription est d’ores et déjà ouvert. Le comité lance un appel ardent à tous les producteurs et bénéficiaires de cette puissance naturelle qu’est l’électricité, élément indispensable à toutes les branches de l’activité moderne : ingénieurs et employés des stations hydro-électriques de France ainsi que des centrales de transport et de distribution ; mineurs et cheminots ; radiologues et chirurgiens, conservateurs de musées ; sociétés métallurgiques et industrielles, cinématographiques et théâtrales ; établissements scolaires et hospitaliers ; paysans et citadins ; en résumé, à tous les Français et à tous les chrétiens, pour qu’ils participent à cette œuvre religieuse et artistique si suggestive du moment, en adressant leur modeste obole ou leur don généreux à M. l’abbé B. Lacroix, curé de Domecy-sur-Cure (Yonne).”

Le 16 septembre 1951, Mgr Lamy procède à la bénédiction de la statue au cœur d’une grande journée de pèlerinage. Le 19 juillet 1953, un autre pèlerinage à Notre-Dame de la Lumière est organisé par la Fédération nationale des Cinémas français et la Fédération nationale du Spectacle et du Film. Le 11 août 1957, le traditionnel pèlerinage propose même d’assister “pour la première fois dans l’Avallonnais et dans le Morvan” à la projection du film de renommée mondiale “Lourdes et ses miracles” que Georges Rouquier a réalisé en 1955, avec pour assistant Jacques Demy. Mais chacune de ces fêtes s’achève évidemment par l’embrasement et l’illumination de la statue. Notre-Dame de la Force et de la Lumière veille donc sur le Morvan en parvenant à conjuguer les aspirations spirituelles avec le progrès technique, comme un modèle parfait autant que surprenant des capacités d’acculturation chrétienne.

Nicolas Tafoiry, archiviste diocésain

Article paru dans la revue diocésaine Église dans l'Yonne - ÉDY, de décembre 2021.