Quelques miettes biographiques
Sa famille
Ses parents, Louis Rouget et Marie-Émilie-Louise Barat étaient cousins germains, issus tous deux d’une lignée de compagnons de rivière, employés sur le coche d’eau depuis le règne de Louis XV.
Son milieu familial est caractérisé par une atmosphère cultivée et lettrée qui ne sera sans doute pas pour rien dans son éveil poétique. Son père, professeur agrégé de Philosophie au collège Paul Bert, est incroyant, même s’il arpentera les Évangiles, et les écrits de Thomas d’Aquin, d’un cœur résolument intelligent, jusqu’à la fin de sa vie. Fils de commerçant auxerrois, monsieur Rouget, avait rêvé de devenir sculpteur ; il n’abandonna jamais cet amour des arts, enseignant aussi l’histoire de l’art au collège de jeunes filles, et imaginant des meubles ornés de motifs floraux empruntés à la campagne auxerroise.
On a tôt fait de classer Marie Noël dans la catégorie des vieilles dames pieuses piquées par quelque muse poétique, mais il faut rappeler pour briser cette cloche empoussiérée que le chant de cette âme tissée de chair et de sang autant que de lumière divine, s’est nourrie au lait de Platon et de Goethe, autant qu’à celui de Thérèse d’Avila, ou de Bernard de Clairvaux. Il faut redire encore que les vers d’Aragon bercèrent les soirées de son hiver et que Montherlant disait d’elle qu’elle était le plus grand poète de son temps1. Quand on connaît la juste distance avec la vie ecclésiale que cet agnosticisme paternel crée dans la jeunesse de Marie Noël, on comprend que sa relation à Dieu n’a rien à voir avec une quelconque habitude conventionnée. Quand la plupart de ses contemporains, baignés de coutumes religieuses, cultivent au fil des années une imperméabilité à la Grâce, chez elle, Dieu sera toujours en dialogue avec l’incroyance de son père, avec ses solides racines bourguignonnes et surtout avec le double mystère souffrant de la Mort et de l’Absence.
Deux épreuves cruciales
C’est à la fin de l’année 1904, à quelques jours d’intervalle, que surviennent deux événements qui graveront dans le cœur de Marie les deux faces d’une même souffrance que rien ne fera plus taire. Tout d’abord, un homme passe dans sa vie, sans même s’en rendre compte ; il n’aura rien su lire dans les yeux de la jeune fille qui lui offrira en retour de son absence, l’éternelle fidélité de son attente. La seconde face se révèle dans la violence : le 27 décembre, deux jours après le départ de celui qui ne sera jamais plus que “l’absent”, elle retrouve son petit frère Eugène mort dans son lit ; il avait douze ans et Marie Noël cherchera toute sa vie à traduire dans des mots et des silences sa colère contre la Mort ainsi que le cri déchirant de sa mère.
Son œuvre
Le nom de Marie Noël apparaît pour la première fois dans La revue des Deux Mondes en 1910. Cette année-là, paraissent cinq poèmes publiés grâce à son parrain, Raphaël Périé, agrégé de Lettres et inspecteur d’Académie. Ce fin lettré comprend vite l’importance de l’éclosion poétique dont il est témoin. Sa filleule se rend compte elle aussi que, dans la recherche de textes pour ses airs, il lui arrivait de ne plus trouver que des paroles2. Les compositions de jeunesse firent place peu à peu à une œuvre puissante en résonance avec le cri de Job ; cet “inconsolable cri de l’homme. Il est entré en moi, alors, et n’en est plus ressorti”3 dira-t-elle au soir de sa vie.
Alors qu’elle n’avait que quinze ans, elle avait demandé à Dieu, dans la cathédrale d’Auxerre “trois choses folles : beaucoup souffrir, être poète, être sainte”4 ; elle fut sans doute exaucée pour ce qui est des deux premiers vœux et l’Église se prononcera peut-être un jour sur la réalisation du dernier.
père Arnaud Montoux