Homélie de la messe du jour de Noël 2024
La nuit de Noël est marquée par la joie, une joie qui s’exprime même au ciel, avec le chant des anges.
Au matin de Noël, la joie demeure bien sûr, mais ce qui caractérise ce moment, c’est plutôt le silence.
C’est le silence très concret des rues, et même de nos églises. Nos assemblées sont plus calmes et clairsemées au matin de Noël.
Je souligne cela, surtout pour ne pas opposer la nuit et le jour de Noël, opposer la joie et le silence.
Nous avons besoin de l’une et de l’autre. Nous avons besoin à la fois de la fête et du recueillement.
La liturgie de Noël exprime cela : il est bon de célébrer et la nuit et le jour, et ainsi de donner place à la fois aux chants et à la fois au silence.
Reconnaissons aussi que, pour certains, le silence est un vrai luxe.
Certains vivent en permanence dans le bruit.
Bien sûr, c’est exceptionnel, mais, à chaque fois que je me rends dans une prison, je suis frappé par les sons, les bruits, les cris.
Il y a aussi certains environnements professionnels qui sont bruyants en permanence.
On peut avoir tellement été habitué au bruit, que le silence peut devenir insupportable. Des personnes ont besoin d’avoir toujours des sons autour d’eux, voire des images : on porte alors des écouteurs et on a les yeux rivés sur un écran.
A contrario, il existe des personnes qui sont dans un perpétuel silence, des gens âgés, isolés, seuls, auxquels personne ne parle jamais.
Pour ma part, vivant seul, je ne suis pas privé de silence, ce que j’apprécie ; c’est plutôt lorsque je me trouve dans des environnements bruyants que cela me gêne.
Bref, sans parole d’une part, et sans silence de l’autre, nos vies sont déficientes.
Au matin de Noël, nous célébrons la naissance de celui dont Jean l’Evangéliste affirme qu’il est “le Verbe”, “la Parole”.
Dans le silence de la nuit, une parole retentit. Sans le silence, comment pourrions-nous l’entendre ?
Autant que cela nous est possible, sachons cultiver le silence, sachons supporter le silence.
Résistons à un des diktats de notre époque : il faut que nous soyons tout le temps stimulés, par des sons, des images, des publicités, des choses, sinon, nous avons l’impression du vide. Jusqu’à dire que le silence serait réservé aux cimetières !
Tout être humain a besoin de rêver, de divaguer, d’imaginer, de laisser sa pensée vagabonder.
Sans cela nous perdons l’habitude de penser par nous-même, tout nous vient de l’extérieur.
Serions-nous incapables de créer, d’inventer ?
Parfois, j’ai entendu des personnes s’accuser de ne pas avoir été totalement présentes à la messe.
Certes, leur corps est là, mais la pensée est ailleurs.
A Noël, elle peut être occupée par le repas d’hier ou celui de tout à l’heure, par les cadeaux, que sais-je encore.
Est-ce si grave ?
Je ne connais aucun être humain dont l’esprit soit totalement mobilisé par ce qu’il vit et ce qu’il entend… surtout lorsqu’il s’agit d’une homélie… on en prend et on en laisse.
Rien de bien grave.
Surtout, c’est cela la richesse de l’esprit humain : être au croisement de bien des choses, d’ordres bien différents, repas, cadeaux, prière, que sais-je encore, et ainsi faire notre miel de tout cela.
Ce jour de Noël, nous fêtons l’incarnation du Fils de Dieu ; nous croyons que le Fils éternel de Dieu s’est fait homme, il a pris chair.
Comprenons ce que cela signifie : l’humanité, la chair, dans ce que cela a de plus concret, sont capables de Dieu. Il n’est pas besoin d’oublier ce qui fait notre humanité, ou de le combattre, pour rencontrer Dieu.
Le Fils s’est fait homme en toutes choses, excepté une seule : le péché.
Et le péché, c’est une seule chose, ce n’est ni le corps, ni l’esprit, ni rien de notre humanité, le péché c’est de se passer de Dieu, ou de penser que Dieu voudrait se passer de l’humanité.
Non, Dieu nous aime et nous appelle à l’aimer.
Avons-nous bien entendu les paroles de l’évangéliste ? « Rien de ce qui s’est fait, ne s’est fait sans lui. »
Noël renouvelle notre espérance, en Dieu bien entendu, mais aussi en nous, en l’humanité.
Nous la savons parfois capable du pire, mais croyons-la, sachons-la capable du meilleur.
Capables du pire : « Les siens ne l’ont pas reçu. »
Et capables du meilleur : « A tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. »
Plutôt que d’entendre dans ce verset une opposition entre les uns et les autres, entre les bons et les méchants, c’est chacun de nous qui est à la fois celui qui reçoit et celui qui refuse.
Chaque année, célébrer Noël, c’est entendre l’appel à accepter d’être des enfants de Dieu, et c’est entendre Dieu nous dire que nous en sommes tous capables, que Dieu nous en rend tous capables.
Espérer en Dieu, et aussi espérer en nous… nous le célébrons à quelques jours de l’entrée dans l’année jubilaire, une année tout entière placée sous le signe de l’espérance.
Le silence de ce matin de Noël est alors un double appel.
D’abord l’appel à faire taire, ou à ne pas écouter tous les prophètes de malheur qui entretiennent le désespoir en l’humanité.
Ils nous coupent les ailes, ils énervent la moindre énergie que nous pourrions avoir, laissant croire que rien ne peut être fait.
Donc, ne pas les écouter.
Mais, au contraire, tendre l’oreille à toute parole, tout signe, qui apporte un quelconque encouragement.
Tout ce qui s’apparente aux paroles du livre d’Isaïe, la première lecture de ce jour :
“Écoutez la voix des guetteurs : ils élèvent la voix, tous ensemble ils crient de joie car, de leurs propres yeux, ils voient le Seigneur qui revient à Sion.”
Le silence permet d’écouter ; mais il s’agit aussi de voir.
Ce n’est pas sans raison qu’au moment de Noël, le moment de l’année où le jour est le plus court, nous aimons décorer de lumières nos rues et nos maisons.
Bien entendu, ce sont des signes, mais ils renvoient à la Lumière véritable :
“Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde.”
Il y a nos mots, ils ouvrent le cœur à la Parole.
Il y a nos lumières, nos guirlandes, elles ouvrent nos yeux à la Lumière.
Pas les uns sans les autres.
Oui, l’humanité, tout ce qui fait notre humanité, est le chemin vers Dieu.