Marcher avec l’espérance dans les yeux
Je me laisse aller à imaginer saint Bernard arrivant à proximité d’un marécage proche de la ville de Montbard. Ceux qui sont autour de lui ne voient sans doute qu’un univers assez hostile où les moustiques règnent paisiblement. Lui, il entrevoit déjà une abbaye très structurée, avec, en son centre, un cloître autour duquel s’organise toute la vie chrétienne des moines. Les flux d’eau seront orientés diversement sous la chapelle, source de vie (cf. Ezekiel 47, 1-9. 12), les cuisines, la forge… Voilà quelqu’un qui pressent ce que les autres ne voient pas. Vous l’avez reconnue, il s’agit aujourd’hui de la belle abbaye de Fontenay.
Dans notre diocèse, entre les deux guerres, l’abbé Magne choisit de construire l’église du Christ-Roi alors qu’il n’y a que des prairies et des terres cultivables sur un terrain qui aujourd’hui se situe au cœur de la cité.
Je reconnais avoir de l’admiration pour les divers bâtisseurs pour qui la notion d’espérance n’est pas abstraite. Certes, il leur faut créer, creuser, construire, travailler, se fatiguer, mais ils sont inspirés par un horizon tangible, une perspective.
La période de l’Avent nous fait fréquemment méditer le livre d’Isaïe qui nous offre des images concrètes de la venue des temps messianiques.
“En ce jour-là, le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux… Il fera disparaître la mort pour toujours” (Isaïe 5, 6-10a). Grâce à ces beaux textes, l’espérance n’est pas à envisager de façon abstraite.
Le Christ dans les Évangiles nous offre de multiples paraboles pour orienter notre regard vers le Royaume de Dieu : “Le Royaume de Dieu est comme… une graine de moutarde…”
Ces paraboles mettent fréquemment en scène des situations très concrètes ; nous ne sommes pas dans l’abstrait. Pour autant, l’image, la scène, oriente notre regard sans nous affirmer que le Royaume de Dieu, ce n’est que cela : ces images nous mettent dans la bonne direction, celle de l’espérance, sans réduire l’amplitude de cette vertu. Effectivement, la paix dans laquelle veut nous emporter le Christ est de cette nature.
À l’image des bâtisseurs, pour construire cette paix, il faudra se fatiguer, être imaginatif. Entre des personnes qui ont soif de conflits et de domination, parvenir à frayer un chemin de dialogue, c’est difficile, laborieux.
Mais, c’est bien parce que dans notre cœur, dans nos yeux, il y a la perspective du Royaume, que nous allons pouvoir frayer les chemins de paix dans la bonne direction (cf. Fratelli Tutti, n° 228-232). Il me semble que l’espérance chrétienne est de cet ordre. Nous avons souhaité avec ce dossier, raviver notre espérance, pour que chacun, même si cela est parfois laborieux et austère dans le contexte actuel, puisse marcher, réaliser que l’espérance n’est pas une notion aussi abstraite que nous pourrions le penser spontanément.
Les indices précis que nous apporte l’Écriture, la Tradition ecclésiale, les témoignages nombreux des saints, nous aident grandement à mettre des mots, des représentations, à cette espérance qui nous rend solide quelle que soit notre force physique.