Ouverture du bicentenaire : l'homélie
Les textes que l’Église nous propose en ce 1er octobre nous rejoignent particulièrement. Nous avons entendu Job parler à Dieu : “Je sais que tu peux tout et que nul projet pour toi n’est impossible.” (Jb 42,2). C’est la phrase que reprendra l’ange Gabriel en s’adressant à Marie : “Rien n’est impossible à Dieu”. Et ces versets bibliques sont comme autant d’encouragements à nous projeter, c'est-à-dire à avoir des projets qui luttent contre la morosité ambiante. Je le disais ici-même, il y a quelques semaines, pour la Saint-Fiacre : “solidement enraciné dans la foi… chacun peut contribuer à rendre goût à ce monde, épuisé de pessimisme et de division”.
Oui, il nous faut de beaux projets, mais non sans voir d’abord “les bontés du Seigneur sur la terre des vivants” (Ps 26,13). C’est bien le sens de l’Évangile lorsque les disciples viennent rendre compte “tout joyeux” des chutes des démons ou de Satan. Cette joie du retour de mission devient alors la joie de Jésus non sans qu’il transforme d’abord la nôtre : “Réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux”. Jésus s’empresse alors de rendre grâce à son Père de qui vient tout don parfait, toute joie : “Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits”. Certes, la joie peut être brisée, éteinte par les multiples épreuves de la vie ou la succession de mauvaises nouvelles, mais Jésus est la Joie qui demeure et que rien ne doit ébranler totalement. Quelqu’un me confiait récemment que des “Parcours gratitude” (Parcours “Miracle de la gratitude”, paroisse Saint-Martin en Avallonnais et parcours “Miracle de la gratitude”, paroisse Saint-Germain d'Auxerre) se développaient dans l’Église. Ces parcours invitent à regarder les gestes de bonté. Nous sommes tellement habitués à parler scandales, maladies, sécheresse, inondations, conflits, nous sommes tellement prompts à relayer les rumeurs ou fausses nouvelles que nous en oublions parfois notre devoir majeur : annoncer les bontés du Seigneur qui sont là sous nos yeux, “sur la terre des vivants”. Ce n’est pas une adaptation chrétienne de la méthode Coué, mais une option de vie, une décision première qui doit nous habiter : saurons-nous voir, nous les chrétiens, ce qui est bon, comme Dieu dans le livre de la Genèse, et aller le dire à nos frères, comme le demande Jésus ressuscité à Marie Madeleine ?
Fêter le bicentenaire du diocèse de Sens-Auxerre c’est donc déjà “faire mémoire” afin de nous rappeler “qu’en 1822, l’archevêque de Sens a reçu pour mission de guider les chrétiens de l’Yonne dans les pas de tous ceux qui les ont précédés, ce qui représente aujourd’hui dix-sept siècles de témoignage de foi en terre icaunaise” (Édytorial). En ouvrant ce soir une période de célébration jubilaire nous sommes invités “à mesurer tout ce que nous avons gratuitement reçu de nos aînés dans la foi”. À commencer par le baptême qui suscite en nous la foi, l’espérance et la charité.
Ce soir, je voudrais insister comme Charles Péguy sur l’espérance : “L’Espérance est une petite fille de rien du tout… Mais l’espérance ne va pas de soi. L’espérance ne va pas toute seule… La petite espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs et on ne prend pas seulement garde à elle. Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux du salut, sur la route interminable, sur la route entre ses deux sœurs la petite espérance s’avance… C’est elle, cette petite, qui entraîne tout. L’Espérance voit ce qui sera. Dans le temps et dans l’éternité. Pour ainsi dire le futur de l’éternité même”.
L’espérance est probablement ce qui nous manque le plus. L’espérance doit être nourrie. Et pour la nourrir il faut faire mémoire. Faire mémoire des bontés du Seigneur, comme je viens de le dire, mais surtout faire mémoire de Lui. Dans son ultime commandement, au soir de la dernière cène, Jésus nous a non seulement invités à nous aimer les uns les autres mais aussi à faire mémoire de Lui. Le pape François l’a rappelé dans sa dernière lettre apostolique, “Desiderio desideravi”, “J’ai désiré d’un grand désir” : “L’Église a toujours protégé comme son trésor le plus précieux le commandement du Seigneur : ‘Faites ceci en mémoire de moi’”. (Cf. Lc 22,19 et 1 Co 11,24-25)
Les trois mots sont importants “faire, mémoire, de lui” : il s’agit de faire avec cette volonté qui correspond à la vertu de charité ; il s’agit de la mémoire que saint Augustin associe à l’espérance ; mais il s’agit surtout de Lui, en qui nous mettons notre foi. Faire mémoire du passé de notre diocèse c’est bien ; faire mémoire des paroles, des gestes, des miracles, des rencontres, des paraboles, du Christ c’est très bien ; mais il s’agit de faire mémoire de lui, de sa personne, de son être de Fils de Dieu. Si nous ne voulons pas être déistes ou vaguement théistes c’est bien de Lui, le Christ, dont il nous faut faire mémoire. Il a voulu prendre notre humanité, dit le célébrant tout bas en versant un peu d’eau dans la coupe de vin : d’où l’importance de l’eucharistie. Certes le Christ a de multiples présences : “Il est là présent dans le sacrifice de la Messe, dans la personne du ministre, au plus haut point sous les espèces eucharistiques, dans les sacrements, dans sa parole, et lorsque l’Église prie…” (SC 7). Mais c’est par la communion que sa présence devient totale : le Christ s’associe l’Église pour qu’elle devienne son corps. Certes nous craignons que dans l’avenir l’eucharistie se fasse de plus en plus rare non seulement en raison du manque de prêtres mais aussi par le manque de désir en nous de faire communion, de devenir un corps en se rassemblant avec nos différences. Raison de plus pour garder ce précieux commandement : faire mémoire de Lui. Ce commandement nous oblige à sortir de nous-mêmes, de chez nous, de sortir de notre individualisme récurrent. Mais cette mémoire est un puissant appel à cultiver notre mémoire en cette période de l’histoire où l’éphémère l’emporte sur la durée et l’efficacité immédiate sur la gratuité de la grâce. Que cette année jubilaire nous donne donc l’espérance qui fait voir les bontés du Seigneur et qu’elle nous permette d’en rendre grâce en faisant mémoire de Lui.
Job 42,1 Job s’adressa au Seigneur et dit : 2 “Je sais que tu peux tout et que nul projet pour toi n’est impossible. 3 Quel est celui qui déforme tes plans sans rien y connaître ? De fait, j’ai parlé, sans les comprendre, de merveilles hors de ma portée, dont je ne savais rien. 4 Daigne écouter, et moi, je parlerai ; je vais t’interroger, et tu m’instruiras. 5 C’est par ouï-dire que je te connaissais, mais maintenant mes yeux t’ont vu. 6 C’est pourquoi je me rétracte et me repens sur la poussière et sur la cendre”.
Lc 10,17 Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux, en disant : “Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom”. 18 Jésus leur dit : “Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. 19 Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. 20 Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux”. 21 À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : “Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. 22 Tout m’a été remis par mon Père. Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler.” 23 Puis il se tourna vers ses disciples et leur dit en particulier : “Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! 24 Car, je vous le déclare : beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous-mêmes voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu”.