Clôture du bicentenaire et confirmation d'adultes : homélie de Mgr Hervé Giraud
Mémoire et espérance. Ces deux mots résument le sens de cette journée qui conclut ce bicentenaire de notre diocèse de Sens & Auxerre. Ils révèlent tout autant le sens de cette fête de Marie, mère de l’Église. L’évangile vient de décrire « la mère de Jésus » au pied de la croix. Nous avons entendu le Christ lui confier le disciple bien-aimé et, à travers lui, toute l’Église aimée du Christ. Alors que le don de la vie de son fils est consommé, en cet instant décisif pour l’humanité, Marie peut faire mémoire de tous les événements de sa vie. Ces événements joyeux, douloureux ou lumineux qu’elle « retenait (…) et méditait dans son cœur » (Lc 2, 19).
Ces moments d’angoisse, comme lorsqu’elle dut chercher l’enfant Jésus resté au Temple, l’ont-elle amenée à douter de l’annonce de l’ange ? Ou a-t-elle su purifier sa mémoire par une espérance, plus forte, venant de Dieu ? Au pied de la croix, Marie a espéré « contre toute espérance » (Cf. Rm 4, 18). Au moment même où « son âme (fut) traversée d’un glaive » (Lc 2, 35) « la mère de Jésus » s’est tenue debout avec l’espérance qui maintenait en sa mémoire la promesse de Dieu. « Comme un signe assuré d’espérance et de consolation… » (LG 68), Marie a montré que Dieu tient sa promesse de vie. Elle a témoigné que la joie de la naissance de Jésus ne disparaissait pas dans cette mort infamante sur la croix, que la vie était plus forte que la mort, intérieure à la mort ! Elle nous a précédés pour tenir dans l’espérance.
Aujourd’hui encore la mémoire est nécessaire notamment quand vient la désolation : « Si mon âme se désole, je me souviens de toi » dit le psaume (Ps 41, 7). Notre mémoire des événements doit être portée par l’espérance. Car c’est avec le recul, avec notre expérience, avec notre foi, que nous considérons le mieux les événements de nos vies. Les lettres des confirmands en témoignent. Pendant leur parcours, et aussi en m’écrivant leurs témoignages, les catéchumènes ont eu l’occasion de relire leur vie avec les yeux de la foi. L’un d’eux m’écrit : « Nous avons rarement envie de réfléchir à nos parcours car cet exercice nous oblige à mettre de l’ordre dans notre vie. Cette lettre est une étape essentielle du chemin vers la confirmation, l’occasion de réfléchir à ce qui nous a menés là. » Ils ont compris que leur vie contenait la promesse de Dieu. Et nous-mêmes, en faisant mémoire de l’histoire de l’Église, nous sommes appelés « à regarder avec les yeux de Jésus, pour qu’il soit lumière sur notre chemin » (Lumen Fidei). Tant de fois, l’Église a couru le risque de partir à la dérive dans des tempêtes comparables à l’ouragan Euraquilon des Actes des apôtres (Ac 23). Seule l’espérance peut transformer toutes nos épreuves.
Chers amis confirmands, les événements du monde vous feront peut-être un jour douter du don de Dieu. Vous vous direz alors que Dieu vous abandonne. Votre amertume et même votre révolte seront peut-être d’autant plus fortes au regard des jours de joie qui vous reviendront en mémoire. Mais si l’épreuve arrive, cette même mémoire vous fera souvenir que ce don de l’Esprit, que vous recevez aujourd’hui, est tourné vers une promesse de vie qui demeure. Car au cœur de la confirmation il y a une promesse et un don : la promesse de la vie par le don de l’Esprit ! Nous l’avons entendu : « Inclinant la tête, Jésus remit l’esprit » (Jn 19, 30) : livré par beaucoup, le Christ meurt, mais il livre aussi l’Esprit de vie. L’accomplissement de la vie de Jésus ne serait-il donc pas de donner l’Esprit et la vie en abondance ?
Frères et sœurs, face aux défis de notre temps, la foi qui traverse les siècles nous rappelle que le centre de l’Église, ce n’est ni les Douze, ni la communauté : le centre de l’Église, c’est l’Esprit. Quand Dieu donne, il se donne, et il donne tout. Au baptême vous n’avez pas reçu seulement une part d’Esprit Saint : vous avez reçu intégralement cet Esprit pour votre transformation pour que vous deveniez sel, lumière ou levain. La prière de la confirmation le rappellera : « Par le baptême, tu les as libérés du péché, tu les as fait renaître de l’eau et de l’Esprit. » Mais pour la confirmation cette même prière ajoute : « Donne-leur en plénitude l’Esprit qui reposait sur ton Fils Jésus ». Car c’est bien de plénitude dont il est question. Il ne s’agit donc plus de recevoir l’Esprit pour soi. Il s’agit de recevoir l’Esprit pour les autres. Il ne s’agit pas de nous demander ce que cela va nous apporter, mais ce que nous pouvons apporter aux autres. C’est cette conversion que Dieu nous demande afin que chacun considère les dons ou les compétences qu’il peut offrir aux autres. Pour nous aider en cela, l’Esprit, sans cesser de nous habiter, cherche à sortir et à nous faire sortir. Il est en nous comme en excès, un surcroit de don pour les autres.
Vous connaissez cette image que j’emploie souvent lors des confirmations. Imaginez un verre d’eau plein. Au baptême nous sommes remplis de l’Esprit Saint. Et si nous ajoutons de l’eau dans ce verre, l’eau déborde. Il en est ainsi de l’Esprit reçu à la confirmation : c’est le même Esprit mais il déborde vers les autres, surtout vers ceux dont le verre est vide. Cet Esprit est le « débordement de joie » que chante le psaume : « Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! » (Ps 15, 11). En ouvrant cette année jubilaire, le 1er octobre, je proposais justement de vivre dans cette louange, d’utiliser ce temps de mémoire pour « voir les bontés du Seigneur sur la terre des vivants » et mieux les partager. Recevoir la confirmation, c’est non seulement recevoir l’Esprit en plénitude mais donner accès à cette eau vive dont notre humanité a soif. La préoccupation pour la sauvegarde de la création, pour l’eau qui pourrait bientôt nous manquer, nous conduit à considérer au même titre l’urgence de permettre aux hommes et aux femmes d’avoir accès à la source intarissable de l’amour de Dieu, dans sa Parole et dans les sacrements.
Ainsi, c’est toute notre vie chrétienne qui se construit dans la mémoire et l’espérance. Avec l’espérance, en effet, la mémoire se déploie, fait ressurgir la promesse de Dieu et relance notre mission : nous faisons mémoire de lui ; nous faisons comme il a fait pour nous ; nous faisons des disciples. Notre diocèse porte depuis plus de 17 siècles cette espérance. L’Église de Dieu demeure un lieu où l’Esprit souffle malgré les faiblesses de ses membres et par l’utilité de chacun d’eux. La lecture des Actes des Apôtres nous le rappelait simplement mais utilement. Confirmés d’aujourd’hui, n’oubliez jamais que l’Esprit compte sur chacun de nous !
Que ce débordement d’Esprit que nous allons vivre nous aide tous à « contribuer à la joie de l’autre » (Cf. 2 Co 1, 24). Cette joie éternelle de l’Évangile, nul ne pourra nous la ravir, car c’est la « joie de l’espérance » (Rm 12, 12).